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Boris Tavernier
FranceVRAC
Ashoka Fellow depuis 2021

Luttant contre l'apartheid alimentaire de qualité et durable dont souffrent en silence les plus démunis, Boris apporte une alimentation saine au cœur des banlieues populaires. Il donne vie au concept de démocratie alimentaire en responsabilisant les communautés afin qu'elles puissent prendre en main la qualité de leur alimentation et contribuer à la construction de systèmes alimentaires locaux alternatifs.

#Cuisine locale#Agriculture#Pauvreté#Agroécologie#Durabilité#Industrie alimentaire#Marché des fermiers#Le dilemme de l'omnivore

La personne

Boris a grandi dans une famille ouvrière du Nord de la France, où l'on retrouve, selon ses dires, le même isolement et la même précarité économique qu'en banlieue des grandes villes, où il opère avec le VRAC, la seule différence étant la prise des tours. Alors que ses parents travaillaient tous les deux dans une usine, une grande partie de sa famille avait un passé agricole, l'amenant à passer beaucoup de temps à la ferme avec ses cousins et à créer un rapport privilégié avec la nourriture et le monde rural. Après avoir à peine terminé ses études secondaires, échoué à l'université et enchaîné les boulots précaires sans perspectives d'avenir, il décide de s'installer à Lyon pour travailler dans un magasin de jouets où il est licencié parce qu'il avait critiqué le manque de fibre éthique de l'entreprise. A 20 ans, il est au chômage mais fasciné par le mouvement altermondialiste qui grandit au début des années 2000 et s'intéresse particulièrement aux agriculteurs militants comme José Bové qui luttent contre les OGM. Ainsi, en 2003, alors que les produits locaux et durables étaient encore l'apanage des militants écologistes stigmatisés comme rétrogrades, il décide avec deux amis d'ouvrir un restaurant coopératif pour démocratiser les produits agricoles locaux et durables dans le but de démontrer leur accessibilité. Après un an à s'approvisionner en produits locaux et à construire une communauté informelle pour convaincre les banques que leur projet pionnier avait une chance d'aboutir et de répondre à la demande, ils ont réussi à ouvrir "De l'Autre Côté du Pont", dans un quartier modeste de Lyon. Leur restaurant est rapidement devenu un lieu populaire, rassemblant militants, représentants politiques et voisins. Cela a permis à Boris d'embaucher 9 salariés, d'ouvrir une épicerie durable et de lancer l'une des premières Associations françaises pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (AMAP), contribuant par la suite au rayonnement régional de la mouvement. Bien que ce périple d'une décennie ait montré que la consommation alternative était possible et pas forcément plus chère, Boris a observé que son initiative avait involontairement participé à la gentrification du quartier. Au-delà de cela, il s'est rendu compte que, même s'il venait lui-même d'une famille à faible revenu, il ne touchait qu'un public averti et non la majorité de la population, surtout pas les personnes défavorisées. Ce coup de semonce l'amène à décider de retourner sur les bancs d'école pour étudier l'Economie Sociale et Solidaire, espérant y trouver des solutions et des expertises qui lui manquent. Entre-temps, lors d'une conversation sur la précarité alimentaire et l'accessibilité avec le président d'un important organisme local de logement social (Est Métropole Habitat) et le responsable régional d'une grande association de lutte contre la pauvreté (Fondation Abbé-Pierre), tous deux clients de son restaurant , il a réalisé l'importance de donner accès à une alimentation locale, durable et de qualité aux personnes défavorisées. Après des mois de travail de terrain pour échanger avec les habitants et comprendre où ils en étaient en matière d'alimentation responsable, l'idée de groupements d'achat a émergé, et Est Métropole Habitat et la Fondation Abbé-Pierre, ont décidé de financer l'initiation de l'aventure, faisant confiance aux compétences entrepreneuriales de Boris. et l'intuition qu'ils avaient observées pendant des années. VRAC est né et suivra bientôt la création de la première centrale d'achat dans un quartier de la périphérie lyonnaise.

La nouvelle idée

Convaincu que la lutte contre l'insécurité alimentaire ne doit pas consister uniquement à lutter contre la faim mais doit inclure les notions de qualité des aliments et de droit de choisir, et refuser un système alimentaire à deux vitesses, Boris facilite l'accès à une alimentation de qualité et une consommation responsable aux populations défavorisées vivant dans les banlieues populaires. Depuis 2014, à travers son association VRAC- Vers un Réseau d'Achats Communs, il contribue à l'émergence de la démocratie alimentaire en responsabilisant les populations défavorisées. Loin des approches préventives traditionnelles consistant à donner des conseils aux personnes défavorisées pour améliorer leurs habitudes alimentaires, Boris emmène les habitants d'un quartier à la découverte d'une alimentation familière, savoureuse et abordable, disponible auprès d'agriculteurs locaux et durables. Ce parcours lui permet de mobiliser positivement et avec enthousiasme les habitants autour d'une alimentation de qualité et ainsi de dépasser le scepticisme existant et les croyances erronées qu'ils ont développées à son encontre, supposant qu'elle est réservée aux seuls privilégiés. Il dote ensuite la communauté des compétences nécessaires pour s'organiser et trouver des solutions pour accéder à ces produits. S'appuyant sur le soutien financier et opérationnel des organismes locaux de logement social, des municipalités et des centres sociaux, il les aide à initier des groupements d'achat locaux et en gros pour permettre l'achat d'aliments secs locaux et biologiques à bas prix, grâce à la puissance du vrac. l'achat et la réduction des intermédiaires et autres coûts évitables tels que l'emballage. L'utilisation de ce mécanisme de groupe crée une forte communauté de solidarité autour de l'alimentation, que Boris mobilise pour créer les bases d'un système alimentaire alternatif plus complet, qui repose sur l'autonomisation des habitants, ainsi que sur le droit et la volonté de consommer des aliments de qualité. En effet, Boris profite de cette première étape pour instaurer la confiance et identifier de potentiels leaders locaux de l'alimentation nourrissante pour étendre son action et son impact à travers la mise en place actuelle de Food hubs au cœur des quartiers. Gérés par les habitants eux-mêmes et représentant une nouvelle activité économique concrète, ces pôles ont pour vocation d'offrir de nouveaux canaux de distribution, de créer de nouvelles sources de production pour élargir la gamme de produits, et de générer des opportunités d'organiser des moments conviviaux et collectifs pour valoriser une culture alimentaire saine et animer les efforts de cuisine communautaire.

Le problème

Les habitants des banlieues populaires représentent plus de 8% de la population française et souffrent structurellement de l'apartheid alimentaire, parfois par méconnaissance, mais surtout par des problèmes d'accès à des choix alimentaires sains et responsables. En effet, ils n'ont ni le choix ni le contrôle sur la nourriture qu'ils achètent. Ils le choisissent par défaut la nourriture représente une part non négligeable de leur budget mensuel, ce qui les amène à faire des choix guidés par les prix et les remises. Ils développent également une tendance paradoxale à surconsommer des produits prêts à consommer, gras et à forte teneur en sucre, causée par de nombreux facteurs tels que le manque de matériel de cuisine, le moral bas, etc. Cette tendance est aggravée par le fait qu'en raison de leur situation géographique position à la périphérie des aires métropolitaines, ils sont obligés de faire leurs courses dans de grands supermarchés qui fournissent des aliments de mauvaise qualité, un phénomène causé par la conception de toute l'industrie agroalimentaire qui se concentre sur les prix compétitifs, plutôt que sur la valeur nutritionnelle. Cela a un impact majeur sur leur santé, car les statistiques montrent que ces communautés souffrent de taux plus élevés de maladies chroniques. Selon l'Observatoire national des politiques de la ville, plus de la moitié de la population vivant dans ces quartiers est en surpoids, notamment les femmes, et a une alimentation déséquilibrée. Ils expriment plus fréquemment des pathologies, parmi lesquelles le diabète et l'hypertension artérielle sont fréquents. Les approches éducatives et préventives centrées sur la littératie nutritionnelle qui soutiennent qu'avoir des comportements alimentaires sains n'est qu'une question de volonté et que les bonnes habitudes semblent inefficaces. Celles-ci sont souvent perçues comme condescendantes, culpabilisantes et financièrement et géographiquement impossibles à suivre. Si des alternatives à la grande distribution existent et sont de plus en plus accessibles grâce à l'émergence d'autres canaux privilégiant une alimentation saine, nutritive, locale et bio (parfois développée par les Ashoka Fellows), elles restent inaccessibles aux banlieusards défavorisés. En effet, ils ne sont jamais implantés dans leurs quartiers, ils sont inabordables et nécessitent une implication qui peut paraître secondaire au regard de la situation difficile des personnes. De plus, ces alternatives sont reconnues comme l'apanage de privilégiés, qui ont le luxe de pouvoir prendre soin d'eux-mêmes et de la planète, engendrant un phénomène d'auto-exclusion voire de rejet. Cela conduit à l'évolution d'un système alimentaire à deux vitesses profondément inégal et génère chez les personnes défavorisées un sentiment d'impuissance et de honte car elles n'ont pas le contrôle de leurs choix de consommation, ni la possibilité de prendre soin de leur la santé de sa famille et celle de la planète. Ce phénomène d'apartheid alimentaire est aggravé par l'influence de l'aide alimentaire sur la manière dont le gouvernement français tente de résoudre les problèmes d'insécurité alimentaire, générant une focalisation disproportionnée sur la quantité par rapport à la qualité. En effet, l'approche historique de l'aide alimentaire, qui aborde les problèmes d'insécurité alimentaire à travers le prisme de la faim, a été créée à une époque où la qualité des aliments n'était pas une préoccupation publique, et repose principalement sur la réutilisation des déchets alimentaires de la grande distribution. En conséquence, le système d'aide alimentaire actuel néglige la notion de dignité et de qualité et néglige ainsi une grande partie de la population à faible revenu mais qui ne bénéficie pas de l'aide alimentaire. La précarité alimentaire reste un problème non résolu et latent qui se cache derrière le phénomène criant de l'insécurité alimentaire qui touche pourtant 8 millions de personnes.

La stratégie

A l'entrée d'un nouveau quartier, Boris lance toujours la discussion en privilégiant la saveur des bons produits à travers des dégustations et des ateliers ludiques pour mobiliser l'intérêt des habitants pour la qualité alimentaire. L'utilisation de cette entrée discrète et de cette approche étape par étape lui permet de susciter l'intérêt et la confiance. Ensuite, Boris rend possible l'accès à des produits normalement inaccessibles mais développe également l'agence des collectivités par l'initiation de moyens rapides et peu coûteux : les groupements d'achat en gros. En effet, les groupements d'achat en gros sont faciles à mettre en place et ne nécessitent pas d'investissements ou d'infrastructures importants, comme le ferait une épicerie. Boris a conçu un tel modèle simple et clair, qu'il développe stratégiquement par le biais d'acteurs sociaux locaux, sachant que c'est la meilleure façon de transformer son idée en une nouvelle pratique. Lorsqu'il arrive dans une nouvelle ville et un nouveau quartier, et qu'il commence à créer une association locale, Boris implique systématiquement les organismes de logement social, les travailleurs sociaux et les municipalités dans le projet. Ils sont attirés par l'approche « clé en main », dans laquelle ils reconnaissent un modèle responsabilisant, capable d'améliorer la vie et la santé de leurs habitants. Ils soutiennent financièrement et opérationnellement le projet, mettent à disposition des espaces pour l'épicerie éphémère (centres sociaux, en rez-de-chaussée d'immeubles HLM…) et communiquent sur le projet auprès des habitants. Les collectivités sont impliquées dès le départ, garantissant que l'initiative répond à leurs besoins et qu'elles peuvent décider de l'évolution de leur pouvoir d'achat collectif. Les habitants sont les premiers recruteurs de nouveaux membres, puisque le groupe se développe principalement grâce au bouche à oreille ; ils ont une vision de l'offre et peuvent exprimer le besoin de nouveaux produits de qualité ; ils commandent les produits qu'ils veulent acheter ; ils sont impliqués dans la logistique et la distribution. Ce modèle de distribution est inclusif et ne stigmatise pas les personnes, puisqu'il est fait « pour et avec les quartiers », plutôt que fait « pour les personnes défavorisées », comme c'est le cas pour la plupart des distributions alimentaires. Cela apporte un fort sentiment d'agence et de dignité, car les habitants à faible revenu peuvent faire leurs courses comme n'importe qui d'autre sans aucun traitement spécial. Ils ont accès à des produits sains, bio et locaux à prix coûtant tant qu'ils adhèrent au groupement, grâce à un système d'adhésion "pay as you feel" qui ne nécessite pas de justificatif de revenus. Une fois la centrale d'achat constituée, pour fidéliser les membres, en attirer de nouveaux et surtout, enrichir les échanges sur les habitudes alimentaires de manière non condescendante, Boris et les équipes locales organisent régulièrement des événements conviviaux et divertissants, qu'il utilise comme des coups de pouce pour mieux encourager habitudes alimentaires au-delà de l'achat. L'organisation d'un concours gastronomique annuel avec des chefs renommés en est un bon exemple. En effet, il enrichit le quartier en offrant une expérience excitante et unique et en même temps favorise indirectement la sensibilisation à la consommation responsable (ex. : un des défis du concours alimentaire est de cuisiner un repas végétalien, de rendre possible la réduction de la consommation de viande et attrayant). Les sorties à la ferme sont un autre exemple d'activité qui met en avant les partenariats tissés avec les agriculteurs locaux pour améliorer la connaissance et la sensibilisation des consommateurs aux produits. Cette dynamisation de la communauté permet à Boris de rendre une alimentation de qualité désirable et accessible à tous, redonnant à l'alimentation son rôle de moteur de lien social dans des lieux souvent en proie à l'isolement social. Appartenir à la communauté génère de la confiance, de la fierté et encourage ses membres à parler des problèmes et à devenir les défenseurs d'une consommation responsable dont ils étaient auparavant empêchés ou même méfiants. Boris peut alors puiser dans cette énergie et inciter la demande à aller plus loin dans sa démarche de démocratisation de l'alimentation et à grande échelle. Il utilise le dynamisme communautaire comme moyen d'accroître son impact grâce à la mise en place de Food hubs. Ayant trouvé des financements, ils sont encore en phase de conception et le premier Food hub sera installé à Lyon, où Boris a initialement lancé son projet. Placés au cœur du quartier, ces pôles seront créés en collaboration avec d'autres acteurs locaux œuvrant sur les problématiques d'alimentation durable et de précarité alimentaire, pour favoriser les coalitions et la mutualisation, mais surtout, pour proposer une offre globale de vie viable et abordable. , système alimentaire local alternatif. En plus de la centrale d'achat initiale, un jardin urbain, une cuisine collective, un restaurant et une épicerie feront également partie du projet, permettant à cette nouvelle démocratie alimentaire d'être plus visible et ainsi de toucher un public plus large. En seulement 6 ans, l'intervention de Boris a déclenché la croissance de près de 50 communautés alimentaires nourrissantes dans 10 villes de France, chacune accueillant une association à but non lucratif initiée par des habitants et des acteurs locaux. Ainsi, il a déjà réussi à convoquer plus de 3300 ménages et 8000 individus, qui déclarent avoir changé leurs habitudes alimentaires en matière d'achat et de cuisson ; qu'ils ont amélioré l'estime de soi et créé du lien social, en devenant des consommateurs-acteurs, ce qui a un impact positif sur leur santé et sur l'environnement. La pertinence et la singularité du projet de Boris lui donnent la traction nécessaire pour mener un travail de plaidoyer percutant qui fait lentement évoluer la manière dont la lutte contre la précarité alimentaire est envisagée par le gouvernement et les autres acteurs associatifs : de l'aide d'urgence à une perspective beaucoup plus large de prévention et de dignité. En effet, Boris parvient à sensibiliser l'opinion publique et politique à un problème souvent caché et montre que les personnes défavorisées, vivant dans des banlieues défavorisées, non seulement méritent une nourriture de qualité, mais la veulent. Il produit des récits alternatifs à travers la publication récente de 3 livres artistiques luttant contre les stéréotypes et montrant qu'alimentation de qualité et banlieues populaires sont déjà compatibles, distribués par des éditeurs grand public et co-écrits avec des écrivains et journalistes de renom. Par ailleurs, la création d'un collectif inter-associatif, capable d'apporter une nouvelle voix puissante au débat national sur la lutte contre la précarité alimentaire, pour œuvrer pour un système alimentaire plus juste et égalitaire, fait également partie de son travail de plaidoyer. Ce travail lui a déjà permis d'élargir la définition de la lutte contre la pauvreté alimentaire à la précarité alimentaire, qui inclut les notions de qualité, d'autonomisation et de dignité des personnes. En effet, il a récemment été interviewé et cité comme exemple de bonne pratique dans un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et le VRAC a également été mis en avant dans un récent appel à projets public de 50 millions d'euros du ministère des Solidarités et de la Santé. dans le cadre du Plan de Relance Covid. Le VRAC est sur le point d'être mis en place dans une dizaine d'autres villes de France et est en discussion avec des villes de Belgique et de Suisse. Boris utilise le bouche à oreille entre les communautés mais aussi les villes comme acteurs pour faire passer le message. De ce fait, il est sollicité quotidiennement par des organismes de logement social ou des collectivités locales pour apporter son expertise et ouvrir des groupements d'achat dans de nouvelles villes. Egalement en discussion au niveau de la Commission européenne, se pose la question d'un éventuel financement pour exporter le concept en Espagne, en Suède et en Pologne. Dans la volonté de déconnecter son impact plus large de celui de la croissance de son organisation, Boris conçoit actuellement un programme d'incubation pour les porteurs de projets locaux qui souhaiteraient implanter VRAC dans leur région et créer leur propre association VRAC locale. Il prévoit également de responsabiliser les associations existantes et intégrées qui souhaitent mettre en œuvre leur propre initiative de démocratisation alimentaire.